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Vers le retour des métiers dans la gestion des ressources humaines… Interview de Jean-Hubert de Roux, auteur de « Les métiers et les hommes, les oubliés du management »
Jean-Hubert de Roux : intervient dans les domaines de la stratégie, de la définition des politiques et des organisations RH. Ancien DRH de branches d’un grand groupe pétrochimique, il a consacré plus de 30 ans à l’organisation industrielle et à la définition des politiques Métier et RH dans des environnements en mutation. Il est l’auteur d’articles spécialisés sur divers thèmes des Ressources Humaines et le co-auteur avec Dominique Massoni de l’ouvrage « Les métiers et les hommes, les oubliés du management ? ». Il répond à nos questions sur le blogRH. |
Jean-Hubert de Roux, comment vous est venue l’idée de ce livre ?
Dominique Massoni et moi-même avons une pratique professionnelle ancienne dans l’accompagnement des Directions des Ressources Humaines. Au fil de ces années nous avons été les témoins de l’avènement de nombreux modes de gestion comme l’analyse des motivations, la Gestion Prévisionnelle des Emplois et des Compétences, le dogme de la mobilité. L’une des constantes que nous avons observé au travers de notre expérience est que l’on évoque jamais le terme de métier, ou du moins jamais sur le fond. Et il en va de même pour les grands ouvrages de GRH ou l’ on évoque peu voire pas du tout les métiers. On y envisage les processus ou les grands domaines RH comme la paye, le recrutement, la formation, la gestion des compétences ou de la masse salariale mais il n’est pas fait référence aux métiers. Nous nous sommes donc posés la question de l’évolution de la notion de métier et de savoir où elle en est à l’heure actuelle au sein des organisations.
Quelles grandes évolutions de la notion de métier avez-vous constaté ?
Jusqu’au XIXème siècle on ne parlait que des métiers et souvent par le biais des corporations. Puis les métiers ont été remis en question dans leur essence lors de l’avènement du Taylorisme. Par l’utilisation de ce mode de production industrialisé, les actions des ouvriers se sont alors trouvées segmentées en tâches simples. Une des finalité recherchées était d’enlever tout pouvoir aux métiers et notamment aux contremaîtres.
En réaction à ce mouvement de rationalisation sont apparus des courants de pensée axés sur les motivations individuelles des salariés telle que l’école des relations humaines. Puis avec le temps d’autres théories de gestion des ressources humaines plus axée sur les compétences ont vu le jour mais sans jamais vraiment se préoccuper des métiers.
Notre analyse s’est donc basée sur ce substrat théorique, que l’on explicite dans le livre, et sur le constat que dans la Gestion des RH on a mis de côté les métiers alors qu’aujourd’hui nous avons la conviction qu’il faut y revenir.
C’est une approche pertinente car dans le contexte de compétitivité mondiale que l’on connait, il est primordial de proposer une offre concurrentielle sur les coûts mais aussi être capable de se différentier par les savoir-faire et la qualité. Et seule une spécialisation forte par métier peut le permettre .
Quels mouvements observez-vous autour de la logique métier dans les entreprises dans lesquelles vous intervenez ?
Il est évident que de plus en plus de grands groupes se structurent autour d’une approche par métier, ce constat s’affirme maintenant avec force depuis quelques années. Récemment, nous sommes intervenus autour de problématiques comme la professionnalisation des métiers d’une DSI ou bien encore la valorisation de métiers techniques de groupes énergétiques. Ce mouvement autour des métiers est en marche mais pour rejoindre ce que je disais en préambule, il ne transparait pas encore dans la presse ou dans les ouvrages de GRH.
En quoi cette notion de métier est un contre-pied au taylorisme et au travail prescrit ?
Commençons par la notion de métier. Elle suppose plusieurs éléments pour exister,
Il s’agit d’un ensemble de savoir-faire mobilisés afin de réaliser une succession de tâches plus ou moins complexes et non répétitives. Cela introduit une notion complémentaire fondamentale qui est l’apprentissage, autrement dit le perfectionnent par l’expérience.
Par extension il s’agit de la capacité de progresser en expertise, en responsabilité mais aussi en rémunération au sein d’un même métier.
A l’heure actuelle, l’on considère l’existence d’un métier dans une organisation lorsque celle-ci propose une gestion des personnes dans la durée, dans des postes ou l’on acquiert de plus en plus de compétences et qu’une communauté de pratiques existe.
Or, le taylorisme c’est l’inverse de cela. Lorsque le taylorisme est envisagé jusqu’à l’extrême la notion de métier n’existe plus, puisqu’il n’existe plus qu’une succession de tâches simples réalisées par des ouvriers spécialisés. Il n’y a plus de réflexion sur les méthodes et sur les processus de production par les ouvriers eux-mêmes. Ces ouvriers spécialisés ont pour caractéristique de pouvoir être remplacés facilement par une autre ressource car la capacité d’apprentissage de l’individu dans son poste n’existe presque pas.
En première analyse cette notion de métier, avec ce qu’elle porte en elle c’est-à-dire le corporatisme par exemple, peut paraître surannée ou pour le moins hors d’âge, alors que paradoxalement au fil des pages elle se révèle particulièrement moderne dans les problématiques qu’elle aborde.
Les différentes théories modernes de l’organisation et de la gestion des RH ont écarté progressivement le terme de métier du paysage. La notion a donc naturellement perdu de sa force au fil du temps. Mais ce qui au fond est suranné, c’est surtout l’organisation sociale, urbaine et politique autour des métiers. En somme, tous les éléments qui structuraient la société d’avant la révolution française.
A l’heure actuelle les organisations s’appuient sur les métiers dans leur communication institutionnelle pour les campagnes de recrutement. Les pages recrutement des sites des entreprises présentent très souvent des métiers, ou mettent en scène des histoires de collaborateurs qui ont un métier caractéristique de l’activité de l’organisation. Les Directions des Ressources Humaines utilisent l’image du métier mais paradoxalement en tiennent encore assez peu compte dans leur gestion quotidienne. Elles sont d’ailleurs longtemps restées à l’écart des métiers, car elles les a souvent considéré comme une structure organisée, plus ou moins formelle, représentant un pouvoir concurrent.
Comment les DRH peuvent-elles encourager le développement de ces identités professionnelles au sein des organisations ?
Cela passe par de l’outillage, des pratiques et bien évidement des actes dans la gestion de tous les jours. Les principales actions concrètes à mener sont l’identification des métiers, la mise à plat de la structure de ces métiers, et au quotidien avoir des pratiques de gestion qui intègrent le métier. La phase d’identification des métiers est primordiale. Il faut que chaque collaborateur sache à quel métier il est rattaché (ex : production, maintenance, marketing, finance,…).
Ensuite chaque métier doit-être analysé, ce qui doit permettre d’avoir une vision précise de sa structure. Cela doit par exemple permettre de définir le nombre de professionnels nécessaires par métier. Faut-il 80% de professionnels et 20% de collaborateurs qui « passent » dans ce métier ? Ou des proportions très différentes ?
De la même manière se pose la question du recours à des experts. Faut-il des experts sur lesquels s’appuyer ? Doivent-ils être positionnés en interne ou externalisés ?
Si nous prenons l’exemple du métier RH, quelle peut-être l’illustration de vos propos ?
Chaque DRH doit se poser la question de ses besoins et définir le pourcentage de collaborateurs issus des métiers et de professionnels RH. Il est donc important que les DRH soient capable d’intégrer à des postes bien précis et pendant une durée plus ou moins longue des collaborateurs issus des métiers.
Pour prendre un exemple concret, dans le département des relations sociales, la nécessité d’avoir 90 à 100% de professionnels RH s’impose. Concernant les équipes de la gestion des carrières, la situation est très différente, le ratio dans ces équipes peut être plus proche du 50/50. Les professionnels ont une vision d’ensemble des problématiques RH, une connaissance des liens entre rémunération, mobilité, parcours professionnels, formation. Les collaborateurs issus des métiers apportent eux une connaissance fine de ces métiers ainsi que les réseaux qui vont avec. Cette organisation permet de mettre en place une organisation ayant une forte légitimité et une complémentarité forte.
Et de manière concrète si l’on envisage une activité RH en particulier comme la formation ?
Pour cette activité cela signifie, s’assurer que les formations métiers sont présentes de manière significative dans le catalogue de formation. L’objectif étant de s’assurer que les formations aux langues, au développement personnel, au savoir-être ne sont pas privilégiées au détriment des formations orientées métier.
Sur le plan organisationnel c’est avoir un pilote ou un sponsor, peu importe le terme, qui soit le garant des compétences du métier et de leurs évolutions dans l’avenir. Il supervise donc les évolutions des compétences, les contenus des modules des formations dédiées aux métiers et plus largement de la définition des parcours professionnels métier.
Opérationnellement, la meilleure solution est d’intégrer plusieurs gestionnaires de métier issus eux-mêmes des métiers afin de s’occuper du suivi du contenu des formations. De plus ces collaborateurs, pourront assurer la liaison avec les patrons de business unit afin d’identifier les évolutions probables des métiers dans l’avenir et identifier l’ensemble des actes d’accompagnement et de développement RH à mettre en place.
Vous introduisez une variable complémentaire dans l’analyse du type de métier, il s’agit de la durée d’apprentissage. Quelles sont les conséquences sur les dispositifs de gestion des populations ?
Il est primordial pour chaque organisation de définir la longueur des apprentissages de ses métiers. La question est de savoir si nous avons à faire à des métiers à apprentissage court ou à apprentissage long.
Pour les métiers à cycle court les progressions dans l’entreprise vont être plus rapide et donc se faire sur un temps plus ramassé. La DRH doit mettre en place des modèles de gestion adaptées avec des formations spécifiques, de la mobilité et à terme de la mobilité externe. C’est par exemple le cas pour les métiers de commerciaux pour lesquels en règle général il faut des populations assez jeunes.
Pour les métiers à apprentissage long, souvent des filières techniques comme géologues, les collaborateurs doivent développer leurs pratiques et leurs expériences sur des temps plus étendus. Des dispositifs de rétention doivent être instaurés non seulement pour les hauts potentiels mais aussi pour les bons professionnels. L’objectif est de développer des filières d’expertise attrayantes ce qui signifie aussi mettre en place des politiques de rémunération adaptées sur le long terme. Cela doit permettre de faire évoluer les rigidités de rémunération liées au poste et ainsi proposer une progression continue.
La mise en place d’un tel système ne peut se faire que si l’on s’affranchit de la pratique de la mobilité pour la mobilité. Des durées d’occupation de poste plus longue sont donc à envisager afin de rallonger les phases d’apprentissage et il ne faut plus chercher à imposer systématiquement des rotations de poste tous les deux ans.
Vous insistez tout au long des chapitres sur la nécessité de replacer les notions de métiers et de parcours professionnels au cœur de la définition des politiques de GRH. Ce que vous invoquez est une sorte de révolution copernicienne dans le monde de la GRH, n’est-ce pas particulièrement ambitieux ?
La complexité n’est pas plus grande que dans les pratiques et les modèles de gestion qui sont utilisés à l’heure actuelle. La nécessité est de mettre au service des métiers un certain nombre d’outils RH et d’y intégrer la logique et les pratiques métier. Aucun outil supplémentaire n’est donc nécessaire.
Un des atouts de cette approche par métier est qu’elle permet de réintégrer la notion de compétences collectives et ainsi d’embarquer l’ensemble des collaborateurs et pas uniquement certaines populations spécifiques. Aujourd’hui dans les grands groupes l’on observe que les systèmes de management mis en place sont focalisés sur les hauts potentiels et les futurs dirigeants, ils permettent donc uniquement d’accompagner les postes clés.
En quoi l’approche par métier se révèle particulièrement d’actualité dans les problématiques qu’elle aborde ?
Cette approche peut être envisagée comme un début de réponse aux problématiques d’identité au travail et plus largement sur le sens du travail. Le défaut de sens au travail est un des maux typiques des organisations tayloriennes. L’utilité de l’activité et le sens du travail est mal perçu, voire plus du tout perçu par les individus. La notion de métier redonne du sens, car elle permet à chacun de participer à l’œuvre collective et commune de l’organisation. L’on constate qu’il existe une fierté identitaire au travers des métiers. Je pendrai quelques exemples forts pour illustrer mes propos : les ingénieurs nucléaires, les foreurs dans le pétrole, les pilotes d’avion, les avocats, les médecins,…. Cela démontre bien que les gens se définissent par leur métiers.
Dans un monde ou les repères bougent, les périmètres et les noms des sociétés changent, il y a une chose qui demeure pour l’identité des salariés c’est la notion de métier.
Propos recueillis par Thomas Albugues